En quelques années, Malte s’est transformée en la Mecque du jeu en ligne, attirant des opérateurs du monde entier grâce à un environnement fiscal alléchant et une réglementation qui semble souvent laxiste. En effet, ce secteur florissant représente aujourd'hui une part considérable du PIB de l'île, générant plus de 6 000 emplois directs. La Malta Gaming Authority, l'autorité de régulation, se targue d'une régulation « stable et attractive », qui a favorisé l'essor de cette industrie depuis l'adhésion de Malte à l'Union européenne en 2004. Des quartiers entiers se sont épanouis près de La Valette, nourris par l'afflux de talents venus du monde entier pour alimenter la machine à sous numérique en plein essor.
« A Malte, ce sont les cabinets de consultants qui tiennent le secteur »
Cependant, ce succès apparent dissimule des zones d'ombre. Selon Valery Atanasov, ancien cadre de l’autorité des jeux, les pratiques déloyales de la MGA soulèvent des inquiétudes quant à la probabilité de blanchiment d'argent dans un domaine déjà risqué. « J’étais le seul inspecteur pour les 250 opérateurs de jeux en ligne », révèle Valery, qui a été licencié en 2015 après avoir tenté d'alerter sur de graves manquements. Originaire de Bulgarie, il a été recruté par l'autorité en 2008 et a vite réalisé que les consultants exerçaient une influence majeure sur le secteur, créant une atmosphère de peur envers l'autorité de régulation.
Scellés de contrôle brisés
Actuellement employé dans le secteur privé, Valery Atanasov lutte encore contre son licenciement abusif en engageant des poursuites contre la MGA. Après avoir épuisé toutes les voies de recours, y compris des contacts avec des responsables gouvernementaux et des entités de lutte contre le blanchiment d'argent, il a conclu qu'il devait se tourner vers la presse pour faire entendre son histoire.
Atanasov était responsable du contrôle des centres de données des opérateurs de jeu en ligne. Dans ce rôle, il devait vérifier régulièrement que les scellés apposés sur les serveurs par l'autorité étaient intacts avant de délivrer les licences. Malheureusement, il a découvert que plusieurs serveurs fonctionnaient sans scellés, ou avec des scellés visiblement altérés, permettant ainsi à des opérations illégales de prospérer.
M. Atanasov a tiré la sonnette d’alarme à au moins dix reprises
« Les scellés sont cruciaux car ils garantissent l’intégrité des transactions. Les retirer constitue un risque sérieux de fraude et de blanchiment. S'il n'y a pas de surveillance, n'importe qui peut manipuler ces systèmes », explique M. Atanasov. Bien qu'il ne dispose pas de preuves concrètes d'activités illégales, il a des e-mails et des photos attestant qu'il a alerté les autorités à de nombreuses reprises, notamment au sujet de Betsson, un géant du pari en ligne, qui aurait opéré sans les enregistrements requis pendant plusieurs années. Contactée, la société a reconnu la situation mais a insisté sur le fait qu'elle respectait les régulations en vigueur.
« Les stickers n’assurent pas la sécurité des opérations, il existe des méthodes de contrôle bien plus avancées, et nous n’avons jamais eu de problème de blanchiment d’argent », défend Pia Rosin, vice-présidente en charge de la communication chez Betsson. Cependant, M. Atanasov conteste cette affirmation, soulignant que les manquements à la réglementation durant des années mettent en lumière un système dysfonctionnel.
Enquête pour blanchiment d’argent
Les allégations de blanchiment d'argent sous couvert de jeux en ligne ne sont pas une nouveauté à Malte. En juillet 2015, une vaste opération policière italienne a ciblé les réseaux de la 'Ndrangheta, la mafia calabraise, qui utilisaient Malte pour blanchir leurs profits. À la suite de cette opération, plusieurs licenciements d'opérateurs de jeu en ligne ont eu lieu, ébranlant davantage la confiance dans la régulation maltaise.
Cette affaire a soulevé des doutes sur la fiabilité des contrôles exercés par l'autorité. « Les enquêtes sont encore en cours, et nous ne pouvons tirer aucune conclusion à ce stade », a déclaré Joseph Cuschieri, directeur de la MGA. Il a qualifié les accusations d'Atanasov de diffamatoires, arguant que toutes les entreprises opérant à Malte sont soumises à un contrôle rigoureux.
« Le scellement est une méthode dépassée, et nous avons mis en place des techniques modernes de surveillance », a-t-il affirmé, en énonçant des méthodes telles que « l'extraction de données » et « la surveillance de trafic ». Pourtant, M. Atanasov déclare qu’« il n’y a jamais eu de contrôle à distance adéquat. On disait même que le système de surveillance était un peu comme une blague - on l'activait seulement lors des visites politiques ».
En contact avec Le Monde, l’ancien directeur de la MGA, Mario Galea, qui a démissionné après quelques mois, corroborait les dires de M. Atanasov. « Il avait des principes éthiques, et je n’étais pas prêt à sacrifier les miens face à la pression croissante de l'industrie », a-t-il déclaré, révélant que la compétitivité mondiale dans le secteur des jeux aurait nécessité des compromis sur les normes de régulation.
Contrôle « non intrusif » et « non pesant »
Sur son site web, la MGA se vante de son approche « non intrusif » pour séduire les opérateurs de jeux. M. Galea a cependant reconnu que la situation concernant les contrôles s'est durcie ces dernières années.
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Quatre opérateurs basés à Malte, dont Betclic, PokerStars, Unibet et ZEturf, sont également présents en France, bénéficiant d'une licence de l'Autorité française de régulation des jeux en ligne. Cette autorité a été mise en place pour réglementer un marché déjà sensible, et soutient qu’elle effectue des contrôles permettant d'éviter les failles potentielles dans le cadre des opérations maltaises. « Les opérateurs doivent avoir des infrastructures sécurisées en France, même si leurs serveurs sont basés ailleurs », explique Clément Martin-Saint-Léon, directeur des marchés et de la prospective, reconnaissant cependant que la rigueur des contrôles français pourrait dissuader certains opérateurs de s'installer à Malte.
Jean-Baptiste Chastand ((Malte, Envoyé spécial))
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